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samedi 16 avril 2016

Les tulipes hybrides

Tulipes Encre 25x25cm

La pluie crépite sur le parapluie. Elle commence tout doucement en feu de brindilles, puis s'installe régulièrement en vos pas. Vous aimez le printemps pour ses contrastes : infinies nuances de vert, ponctuées de jaune d'or ou de blanc nacré, sur fond gris ardoise des Alpes et vif-argent du grand lac.

L'été, le soleil absorbe tout, vous le fuyez.
A moins qu'il ne vous emmène sur les hauteurs, comme la saison passée à Bettmeralp dans le Valais, car dans l'atelier aux baies d'aquarium, le thermomètre dépassait les 40°.

La pluie, vous y êtes habituée. Les ciels du Nord trempés comme une serpillère vous accompagnaient sur le chemin de l'école, la plupart du temps. Cape, Capuche et bottes de caoutchouc, transie du froid humide ou mordue par la bise, vos pantalons mouillés.
Tantôt le brouillard en vraie purée de pois, vous faisait raser les murs des maisons de brique rouge, presque chaud leur contact ; tandis qu'apparaissait titanesque, le terril et sa couverture anthracite. Les ogres se promènent toujours dans l'enfance, vous étiez au bord de votre histoire.

La pluie vous ramène des décennies plus tard à Brasilia, une capitale contemporaine avec un ciel immense toujours en mouvance, une mer inversée. Soudainement des cataractes d'eau s'abattent sur la ville et sur vous. Pas le temps de s'abriter, vous êtes rincée chaudement. Vous êtes pris d'un fou rire et vous essorez votre T-shirt telle une serpillère... en pensant à la wassingue de votre enfance... Dix minutes après, vos vêtements sont secs ! Un ailleurs, les Tropiques.

Photo CQ. 2016

Le bouquet de fleurs cueillies ce matin : pissenlits, branche de Forsythia, renoncules, pervenches, lamier, branche de noisetier est souvent une allégorie du jardin maternel. En toutes saisons il fleurissait et enjolivait la cité minière, dont le moindre espace était plutôt dévolu au champ de pommes de terre. Bref, vous êtes née dans les roses et la fumure du crottin de cheval, qu'on allait ramasser à la pellette sur les routes.

Est-ce la raison pour laquelle, cet éminent professeur d'art d'une école valaisanne vous dit d'un ton péremptoire détester les fleurs, trop liées à la sensorialité du féminin ? Peut-être est-il allergique au pollen, au purin ; mais alors, les légumes ? Vous n'avez eu accès ni à l'espace de parole, ni à l'école d'Art.
Joncs, Encre 60x50cm

Vous pensez à des artistes comme Gaudi, observant, s'inspirant de la nature pour développer un art tout en volutes, courbes, rondeurs, ou à Gilles Clément, ardent défenseur des enclos et son jardin planétaire : « Une feuille morte tombée au sol n'est pas une souillure, c'est une nourriture. » écrit-il en 2009 ; ou encore au génial Chu Ta pour la maîtrise du trait, sa relation constante à la nature, devenu sourd et muet au monde .


De la vigne Encre Sépia 50x60cm

Vous aimez les fleurs dites sauvages, les herbes folles, la légèreté des graminées, les fleurs dites cultivées : l'exubérante pivoine, l'odoriférante fleur d'artichaut, les camaieux des anémones ...

    • Elles ont une couleur morbide ces tulipes ! martèle une de vos visites dans l'atelier.
D'un vase, des inflorescences bleu pétrole, en bec d'oiseaux se dressent sur leur tiges sèches et biscornues.
Un peu dépitée par la remarque, vous faites une réponse oisive :
    • C' est peut-être le produit de conservation, qui ne leur convient pas.
De ce fait, vous pensez à la carnation des cadavres ; au Pétrole Han, cette lotion bleu qu'utilisait votre père en 1958, aux produits cosmétiques dérivés du pétrole, et à l'être humain une espèce d'hybride bavard ?


St-Sulpice, le 17 avril 2016                                                                                                Ch. Quéhen

samedi 30 janvier 2016

Présence




Le chantier





Elle est là, présente.
Vous ne savez pas où.
Elle vous rend fébrile, agressive, animale.
Vous savez sa clarté plus intense que le jour,
Qui pénètre vos os, vous perce de toute part.
Vous criez.
La folie guette les embrasures.
Plus rien n'existe, qu'Elle.
Son souffle la précède.
Elle vous bouscule, vous renverse, vous happe.
Les eaux se retirent, le vent écartèle les ramures, le sol se meut.
La voici, dans son incommensurable beauté.
Nul astre dans le ciel n'a son éclat d'acier,
C'est un phare qui révèle des sources.
Vous l'aimez même parée d'un léger voile.
Sa disparition vous laisse exsangue,
Sa danse circulaire envoute.
Au risque de vous perdre,
L'alliance s'est fait halo.



Du côté de chez moi






St-Sulpice, le 24 janvier 2016                                                                    Ch. Quéhen


                                                                                                                     ©Chantal Quéhen, 2016






samedi 9 janvier 2016

Le vent

Lac Léman
Du Laviau St-Sulpice


Vous aimez le vent, il vous bouscule, vous traverse, vous plaque. Votre toque synthétique s'envole, vos cheveux s'entremêlent et balayent votre visage. Vous vous élancez, mais freinée par lui, votre chapeau roule dans l'eau.
Pourtant, ce vent vous donnait des frayeurs d'enfant, vous réveillant la nuit, lorsque de la haute fenêtre vous entendiez les arbres se tordre de rire, et leurs ombres gigantesques entrer dans la chambre éclairée de lune blanche.
Depuis il vous a apprivoisée !
Vous aimez son chant dans la forêt, tantôt murmure, plainte, fracas. Son rugissement sur l'eau, qu'il ourle, projette, étale à vos pieds. Tiens ! un poisson s'y trouve, brisé par une lame violente, un bois flottant, déchiré par un hameçon ? 




Sur la rive
St-Sulpice

Vous souhaitez une mort naturelle.



Dans le ciel les mouettes gémissent, ricanent tout en dansant avec lui, tandis que les colverts ballotés comme des jouets en plastique, ont l'air de bien s'amuser.



Lac Léman
Des rives



Vous croisez le pêcheur du Port Tissot, blouson rouge, bottes de caoutchouc vertes, tenant à la main une brindille, peut-être de saule. Il s'attarde sur la rive, le regard baissé comme cherchant quelque chose.
Vous aimeriez bien l'aborder, mais il file plus vite que le vent, vers sa cabane.
De temps en temps vous vous rendez à sa pêcherie, pour y acheter de la féra, de l'omble chevalier, du brochet, plus rarement des écrevisses, qu'il faut réserver. Elles sont d'origine américaine et ont envahi tout le lac, mais pas seulement ... Un grand gaillard, qui n'est pas le pêcheur, vous reçoit avec un accent slave à couper au couteau, d'ailleurs le couteau il s'en sert maintenant pour lever des filets de perche. Les mains souvent dans l'eau et le froid, ou à ramender et à nettoyer les filets de pêche, il vous dit aimer son travail, la nature et la solitude ; en quoi il attire votre sympathie.
Parfois vous croisez le héron placide, qui a élu demeure sur le toit surplombé de cages, de nasses et de tout un bric à brac. C'est un malin.




Le héron
Port Tissot



Cet air du lac Léman, la bise sans doute, annonce la saison froide, le repli chez soi et les courses feutrées dans la neige...












St-Sulpice, le 8 janvier 2016                                                                                Chantal Quéhen




                                                                                                                              ©Chantal Quéhen.2016