Tulipes Encre 25x25cm |
La pluie crépite sur le parapluie.
Elle commence tout doucement en
feu de brindilles, puis s'installe régulièrement en vos pas. Vous
aimez le printemps pour ses contrastes : infinies nuances de vert,
ponctuées de jaune d'or ou de blanc nacré, sur fond gris ardoise
des Alpes et vif-argent du grand lac.
L'été,
le soleil absorbe tout, vous le fuyez.
A
moins qu'il ne vous emmène sur les hauteurs, comme la saison passée
à Bettmeralp dans le Valais, car dans l'atelier aux baies
d'aquarium, le thermomètre dépassait les 40°.
La
pluie, vous y êtes habituée. Les ciels du Nord trempés comme une
serpillère vous accompagnaient sur le chemin de l'école, la plupart
du temps. Cape, Capuche et bottes de caoutchouc, transie du froid
humide ou mordue par la bise, vos pantalons mouillés.
Tantôt
le brouillard en vraie purée de pois, vous faisait raser les murs
des maisons de brique rouge, presque chaud leur contact ; tandis
qu'apparaissait titanesque, le terril et sa couverture anthracite.
Les ogres se promènent toujours dans l'enfance, vous étiez au bord
de votre histoire.
La
pluie vous ramène des décennies plus tard à Brasilia, une capitale
contemporaine avec un ciel immense toujours en mouvance, une mer
inversée. Soudainement des cataractes d'eau s'abattent sur la ville
et sur vous. Pas le temps de s'abriter, vous êtes rincée
chaudement. Vous êtes pris d'un fou rire et vous essorez votre
T-shirt telle une serpillère... en pensant à la wassingue de votre
enfance... Dix minutes après, vos vêtements sont secs ! Un
ailleurs, les Tropiques.
Photo CQ. 2016 |
Le
bouquet de fleurs cueillies ce matin : pissenlits, branche de
Forsythia, renoncules, pervenches, lamier, branche de noisetier est
souvent une allégorie du jardin maternel. En toutes saisons il
fleurissait et enjolivait la cité minière, dont le moindre espace
était plutôt dévolu au champ de pommes de terre. Bref, vous êtes
née dans les roses et la fumure du crottin de cheval, qu'on allait
ramasser à la pellette sur les routes.
Est-ce
la raison pour laquelle, cet éminent professeur d'art d'une école
valaisanne vous dit d'un ton péremptoire détester les fleurs, trop
liées à la sensorialité du féminin ? Peut-être est-il allergique
au pollen, au purin ; mais alors, les légumes ? Vous n'avez eu accès
ni à l'espace de parole, ni à l'école d'Art.
Joncs, Encre 60x50cm |
Vous
pensez à des artistes comme Gaudi, observant, s'inspirant de
la nature pour développer un art tout en volutes, courbes, rondeurs,
ou à Gilles Clément, ardent défenseur des enclos et son
jardin planétaire : « Une
feuille morte tombée au sol n'est pas une souillure, c'est
une
nourriture. » écrit-il
en 2009 ; ou encore au génial
Chu Ta pour
la maîtrise du trait, sa relation constante à la nature, devenu
sourd et muet au monde .
De la vigne Encre Sépia 50x60cm |
Vous
aimez les fleurs dites sauvages, les herbes folles, la légèreté
des graminées, les fleurs dites cultivées : l'exubérante pivoine,
l'odoriférante fleur d'artichaut, les camaieux des anémones ...
- Elles ont une couleur morbide ces tulipes ! martèle une de vos visites dans l'atelier.
D'un
vase, des inflorescences bleu pétrole, en bec d'oiseaux se dressent
sur leur tiges sèches et biscornues.
Un
peu dépitée par la remarque, vous faites une réponse oisive :
- C' est peut-être le produit de conservation, qui ne leur convient pas.
De
ce fait, vous pensez à la carnation des cadavres ; au Pétrole Han,
cette lotion bleu qu'utilisait votre père en 1958, aux produits
cosmétiques dérivés du pétrole, et à l'être humain une espèce
d'hybride bavard ?
St-Sulpice,
le 17 avril 2016 Ch. Quéhen
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