Machin,
machine
Il est 13h05, vous attendez le train
Allaman-Villeneuve pour descendre à Vevey. Vous êtes sur la voie
trois à la gare de Morges.
Au-delà sur une voie de garage, un
attelage de wagons de fret, rempli de matériaux inertes avec deux
citernes, est poussé par une locomotive rouge. Un cheminot en
vêtement fluo orange, casqué coordonne au sol l'avancée du train
vers deux motrices vertes accouplées. C'est un saboteur !
Tantôt, il s'infiltre entre deux
wagons pour les relier, tantôt il glisse une sorte de patin (le
sabot) sur le rail pour freiner le chargement. Il lui faut beaucoup
d'adresse, de sang-froid et de force physique pour un tel travail.
Crissement, cliquetis, martèlement,
grésillement du talkie-walkie, passage violent d'autres trains,
constituent son environnement sonore. Peu de femmes dans ce monde
machi(ni)ste, pour dire que les mâles aiment le fer... malgré le
genderqueer.
Soudain un coup de sifflet, pas de
train stationné, mais sur le quai quatre, un étrange monsieur suit
les faits et les gestes de l'ouvrier (tout comme moi), sautillant de
long en large (tandis que je suis debout), et balayant ses bras à
droite, à gauche pour faire circuler un train fantôme. Un dernier
coup de sifflet, notre chef de gare disparait sous une voie.
Près de moi, assis sur un banc un
jeune homme au style estudiantin visionne en souriant son i-phone. Il
a appuyé à un pilier son skate à une roue. Évidemment si vous
aviez suivi la trilogie Retour vers le Futur, vous
connaitriez l'hoverboard (planche électrique, avec capteurs pour
suivre vos mouvements) ! De là, à le pratiquer ...
Pas de haut parleur cette fois, pour un
passage de train ou d'entrer en gare, à peine un ralentissement
chuinté qui nous fait tourner la tête ensemble et nous précipite.
Du haut de sa cabine de pilotage, le
conducteur semble nous narguer. Sa machine toute puissante fuit
devant nous. Vous éclatez de rire, tandis que le garçon stoïque
vous lance :
"Bon, de toute façon, il y en a
des tas d'autres!", tout en reprenant sa lecture visuelle et son
écriture tactile.
Un peu plus tard dans le compartiment,
vous êtes assis face à un homme. Il a l'air d'un manouche, son
teint est basané, ou plutôt bronzé. Sa tenue vestimentaire est
décontractée, basket et sac à dos. Il en sort un objet que vous
prenez d'abord pour un livre. La couverture est faite de deux
planchettes en bois reliées par une broderie au crochet. Vous vous
apercevez, qu'il s'agit d'un i-pad pris en sandwich. Comme la
curiosité vous titille (vous n'avez jamais vu ça!) vous lui
demandez la provenance de l'objet ?
"Je l'ai fabriqué moi-même, dans
de l'iroko", dit-il en le posant verticalement sur la tablette à
côté des sièges. Vous voyez, qu'il lui manque une phalange à la
main droite.
"Comme ça, il ne peut pas
m'échapper des mains. Sinon ces appareils en plastique glissent
comme des poissons, et se retrouvent au fond du wagon. Le mien, je
lui évite les chocs. Et puis, je peux facilement me selfier !"
tout en posant devant son bijou techno artisanal.
Vous apprenez qu'il habite depuis plus
de 60 ans à Lausanne, qu'il est menuisier retraité, et qu'il
l'emmène en balade partout, son doudou d'i-pad !
St-Sulpice, le 29 avril 2017
Chantal Quéhen
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